LIONEL TRÉBOIT
Texte du catalogue de l'exposition
INSTANTS PARISIENS
Glisser notre imaginaire dans l'espace... d'un instant, s'y abandonner. La ville n'existe que par notre regard qui se l'approprie ou se laisse posséder par elle. Mes "instants parisiens" ouvrent des brèches dans la ville. Elle nous apparaît alors fragmentée, discontinue. Ces instants s'offrent comme autant de points de vue pour des peintures possibles, des instants de ville à saisir.
Ces instants, je les saisis par la photographie. L'instant recèle une histoire compressée. Après la photo, le dessin me permet de la "dérouler", d'en révéler la dynamique. Par le jeu de l'ombre et de la lumière je fais ressortir les masses principales des personnages et de l'architecture urbaine. Je reporte ensuite le dessin sur la toile préparée avec une couleur chaude. Ces apprêts oranges ou rouges amplifient la lumière du tableau. Ensuite l'usage alterné des tons chauds et froids renforce les volumes. La peinture est composée de différentes parties qui s'imbriquent au fur et à mesure les unes dans les autres, comme les pièces d'un jeu de construction. Quand le tableau est suffisamment dynamique, il est fini.
Paris a sa propre écriture, ses codes, ponctués par ses lieux familiers tels que ses places, ses cafés, ses cinémas, autant d'endroits que l'on habite et qui en retour nous habitent... des lieux typiques que l'on croit connaître et que je montre par la peinture sous un angle inédit, décalé.
La réalisation de "Cinémas Montparnasse" (page 7) a nécessité l'élimination de la perspective panoramique de la photo, la suppression d'un kiosque à journaux encombrant et la synthèse de multiples points de vue différents. Dans "La Cigale" (pages 18) et "Du Métro Blanche au Moulin Rouge" (page 29), les couleurs morcelées du mobilier urbain créent un mouvement cinétique qui dynamise l'espace pictural. Dans "Palais Royal-Comédie Française" (page 17), l'espace n'est plus construit par les lignes de fuite, mais par les plages de couleurs proposées par la rue, vitrines, affiches, enseignes. Autant de points de vue qui privilégient la théâtralité de l'atmosphère parisienne dont la vitalité tient à l'effervescence et à la densité de la vie citadine.
J'aime ces lieux de transition qu'offre la ville. Il s'y passe toujours quelque chose. Le café permet de se retrouver ailleurs, seul ou avec les autres. Le moment du café peut s'étendre tard dans la nuit jusqu'à l'oubli de soi. La ville nous expose aux regards des autres mais est aussi un miroir qui nous renvoie à nous-mêmes.
...Rue de Rivoli, la lumière glisse sur la foule et l'accompagne, de l'aurore au couchant, jusqu'aux Champs-Elysées. Par la matière de ma peinture, cette lumière lie le passant à l'architecture.
...A l'heure de Montparnasse, la foule fantomatique surgit des façades des immeubles pour y disparaître aussitôt, avalée par un cinéma aguicheur ou par l'antre d'une bouche de métro. Ici, les affiches de cinéma illuminent la grisaille parisienne. Parfois, elles semblent s'animer d'une vie autonome, plus intense que la nôtre, plus séduisante, plus vraie que notre terne réalité. Cette synthèse du virtuel de l'affiche et du réel de la rue me fascine.
...Rue de Rennes, le trottoir s'affole. Voici un parisien trop pressé. Gros plan : le passant fond dans la foule. Mais quand la promiscuité citadine devient écrasante, imparable, on se réfugie dans le silence. Dans mes tableaux, je représente le silence par le vide. Ce silence, cette solitude, est aussi tension, énergie contenue. Elle est ressentie dans l'image comme une présence secrète qui nous interpelle.
Cette présence secrète transparaît derrière la banalité de la ville. Les "instants parisiens" nous incitent à l'appréhender.
Lionel Tréboit, mars 2010
Text of exhibition book
PARISIAN INSTANTS
To slide our imagination into space... for an instant, to let ourselves go. The city exists through our eyes, which seize it or are overwhelmed by it. My "Parisian Instants" open breaches in the city. It appears fragmented and intermittent. Every instant offers a viewpoint for a possible painting, an urban moment that must be caught by the artist.
I capture these instants through photography. Each instant contains a concentrated narrative. After the photo, drawing, helps me unravel this story, release its vitality. Figures and architecture are modeled by light and shade on paper. The drawing is then transferred unto a canvas primed with warm colors. The orange and red grounds intensify the light of the painting. Volume is established by the alternation of warm and cool tones. The painting is composed of separate parts that lock into each other in turn, like the pieces of a puzzle. When the painting is sufficiently dynamic it is finished.
Paris has its own narrative, its own codes, punctuated by familiar spots, like its squares, cafés, cinemas, all those places that we live in and that in turn inhabit us. Typical spots that we think we know well and that I show in my painting from an unusual or staggered viewpoint.
For "Cinémas Montparnasse" (page 7) I eliminated the panoramic angle of the camera, and an obstructing newspaper stand and combined a variety of viewpoints into one. In "La Cigale" (page 18) and "Du Métro Blanche au Moulin Rouge" (page 29), the fragmented colors of the street architecture create a cinematic movement that vitalizes the picture space. In "Palais Royal-Comédie Française" (page 17), space is not based on geometric perspective, but built of flat planes using the colors of the shop windows, posters and street signs of the city. These invented vantage points emphasize the theatrical atmosphere of Paris, the vitality, effervesce and density of city life.
I love transitional spaces in the city. There is always something happening in them. The café allows one to be elsewhere, alone or with others. The café moment can be prolonged late into the night and to the point of self oblivion. The city provides a stage on which we are observed by others but is also a mirror in which we see ourselves.
...Rue de Rivoli: light slides off the crowds and follows them from dawn to dusk to the Champs-Elysées. Light and paint bind the passer-by to the architecture of the city.
...In Montparnasse, a ghostly crowd emerges from the building fronts to vanish immediately, swallowed by a seductive cinema or the gap of a metro mouth. Here, the bright movie posters illuminate the Parisian grayness. Sometimes they seem to be animated by an internal life, more intense, more seductive than our humdrum existence. The juxtaposition of the virtual reality of the posters and the real life on the streets fascinates me.
...Rue de Rennes, the sidewalk is crowded. Here is a Parisian in a great hurry. Cut to: the passer-by melts into the crowd. But when the pressure of the city becomes overwhelming, unstoppable, we escape into silence. In my paintings silence is represented by empty space. This silence, however, is also a tension, a contained energy. It can be felt in the image like a secret presence that calls out to us.
This secret presence is apprehensible behind the surface banality of the city. “Parisian Instants” lead us to it.
Lionel Tréboit, march 2010
Galerie Beckel Odille Boïcos